21 octobre 2006

Le Beaujolais Nouveau de Klaus.

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Klaus et le Beaujolais Nouveau.

Ça fera bientôt trente ans, Klaus nous avait été envoyé par la maison mère, de Düsseldorf pour approfondir sa connaissance de la langue française. Il venait effectuer ce qui était à l’époque le stage de six mois classique : cours à l’Alliance Française le matin et pratique au bureau l’après-midi. Il n’avait pas encore vingt cinq ans, grand, très mince presque maigre, genre adolescent poussé trop vite qui ne sait pas quoi faire de ses bras, des cheveux blonds roux, légèrement frisés, incoiffables, et une petite moustache pour essayer de se vieillir un peu. Et surtout, l’esprit ouvert, curieux de nouveautés et francophile, ce qui n’était pas toujours le cas de nos stagiaires allemands à leur arrivée à Paris, même si ça l’était souvent après six mois de stage.

En l’aidant à faire ses exercices j’ai révisé des règles de la grammaire française. C’est surprenant, mais on peut avoir besoin de réfléchir quelques instants quand on vous demande à brûle pourpoint : « François, dans cet exercice je dois mettre les phrases à la forme passive au passé, qu’est-ce qu’il faut faire exactement ? ». Au fait, jamais un stagiaire ou un collègue germanophone n’a réussi à dire Jean-François.

Au bout de quinze jours de stage il y avait aussi et toujours la leçon ou l’on parlait de l’humour français et des jeux de mots. « François aujourd’hui nous avons appris une blague typiquement française peux-tu m’expliquer je n’ai pas compris ? ». Il y avait deux ou trois histoires drôles dans cette leçon du cours de perfectionnement de l’alliance française.

Je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager la joie immense que nous avions de les redécouvrir régulièrement tous les six mois : « Hier j’ai rendu visite à la colonie allemande – Ah bon ! Où ça ? – Les trois premiers rangs du Casino de Paris ! ». La vrai grande satisfaction intellectuelle (sic), survenait au moment de tenter d’expliquer ce qu’il pouvait bien y avoir de comique dans cette histoire, surtout quand, bon élève et très consciencieux, votre interlocuteur notait la solution dans son cahier en demandant « et ça, ça vous fait rire ? ».

La seule qui était encore trouvée un peu amusante après décodage entrait dans la catégorie des histoires légères, et donc typiquement parisiennes. Là encore je ne saurais vous laisser sur le grill, je suis sûr que vous attendez pratiquement une révélation, alors allons-y, puisque je ne m’adresse qu’a des personnes majeures âgées de plus de dix-huit ans (si ça n’est pas le cas ne lisez pas la suite et quittez immédiatement ce blog). Les précautions légales étant prises voici le texte intégral, version non expurgée : « François aujourd’hui nous avons appris une blague légère typiquement parisienne. Peux-tu m’expliquer, je n’ai pas compris ? – Oui vas-y – Alors voilà : Les petites filles aiment bien les chocolats, mais les grandes filles préfèrent les chocs au lit ». Ach ! Pariss !

Les bureaux étaient rue Tronchet, entre les grands magasins du Printemps et l’église de la Madeleine, deux lieu de culte très différents l’un de l’autre. Je lui avais trouvé un petit appartement meublé proche du métro Europe, rue de Moscou, et le soir il allait parfois boire une bière dans un bistrot à côté de la station Rome. Un vendredi soir peu après la mi Novembre il y a commandé sa bière comme d’habitude, mais son voisin de comptoir de droite s’est interposé.

« Ah non mon cher ! Aujourd’hui bière interdite ! Gégé sert à Monsieur un Beaujolais Nouveau, c’est pour moi ! ». Bien entendu Klaus a pris ça très sérieusement, au premier degré, et il a été très déconcerté.

Un jour ou la bière est interdite on ne lui en avait pas parlé à l’Alliance Française, ce qui était vraiment déroutant parce que la bière pour un allemand n’est pas un sujet mineur mais un thème culturel fondamental. Frappé par sa perplexité et soucieux de ne pas laisser un étranger dans la détresse son voisin de gauche a abondé : « Vous n’avez pas l’air de savoir qu’en France il ya deux fêtes nationales le 14 Juillet et le Beaujolais Nouveau ? – Mais non pas du tout ! – Je vais vous expliquer. Tiens Gégé remet-nous ça, c’est pour moi ».

Et ses deux voisins lui on tout expliqué : le Beaujolais, Le Beaujolais Village et le Beaujolais Nouveau sans oublier la nécessité du respect des traditions populaires et culturelles nationales, sujet auquel Klaus a toujours été particulièrement sensible.

Le cours particulier s’est prolongé jusqu’à la fermeture de l’établissement peu après vingt heures trente. Sur la suggestion de Gégé ils sont partis tous les quatre vers un petit bouchon genre Lyonnais qui organisait un mâchon pour fêter ce grand jour, et dont le Beaujolais Nouveau, élaboré par un ami du patron, juste à côté de Beaujeu, était une vraie merveille, à connaître absolument.

Klaus s’est bien rappelé leur départ, mais de ce qui s’est passé après il a tout oublié, où presque. Ensuite, la seule chose dont il se souvient avec certitude c’est de s'être réveillé le lendemain, chez lui, dans son lit, en pyjama vers quatre heures de l’après-midi.

Des siècles de recommandations aux voyageurs germaniques se rendant vers les pays latins laissent des traces profondes, capables de résurgence même dans les moments difficiles quand on n’a ni les idées claires ni le pied marin, mais une chambre qui possède une légère tendance à l’instabilité. Il s’est donc précipité inquiet sur ses vêtements bien pliés sur une chaise et a fouillé dans toutes ses poches de veste et de pantalon.

Il m’a raconté toute l’histoire le Lundi après-midi, très excité. « François je pense qu’après le bouchon Lyonnais nos sommes allés dans plusieurs autres endroits, mais où ? Je ne sais vraiment pas, peut-être dans un restaurant où il y avait des escargots, mais en réalité je ne me souviens pas. Et quand je me suis réveillé j’ai tout de suite cherché mon argent, mes eurochèques, mes papiers : tout était là, il ne manquait rien, pas un centime. Et ce matin quand je suis allé prendre mon expresso tout le monde m’a dit : Bonjour Klaus, ou Salut Klaus, même des gens que je n’avais jamais vus, et ils me donnaient une tape dans le dos ! ».

Cher Klaus, devenu un excellent ami ! L’année suivante il nous a invités à son mariage avec Suzy, chez eux à Neuss (NRW). J’avais apporté dans le coffre de ma voiture un peu trop de Champagne. Les postes de douane existaient encore. Le douanier belge m’a demandé si j’avais quelque chose à déclarer, je lui ai tout dit. Il m’a expliqué que si on faisait les formalités officielles de transit d’alcool ça serait long et compliqué alors que je pouvais passer comme ça mais à condition de promettre de faire le nécessaire à la frontière allemande. J'ai promis... et je l'ai fait. Le douanier allemand était bien embêté, « vous avez droit à trois bouteilles et vous vous en avez vingt quatre ! ... Mais si c’est pour un mariage… Bon, vous avez l’invitation ? ». Je l’avais, avec le plan d’accès. Il m’a laissé passer, comme-ça en ajoutant « fêtez bien ».

De l’Europe parfois je doute. Il faudrait peut-être seulement un peu plus de Beaujolais Nouveau, même si ce n’est pas mon vin préféré, et de Champagne, que j'aime beaucoup, mais surtout de braves gens, ce qui fait un peu nouille et vieillot comme expression, ou d’hommes, et de femmes, de bonne volonté, ce qui fait carrément grandiloquent. En ce qui me concerne je continuerai à voter Oui en tout cas, et je préfère fêter le Beaujolais Nouveau que la fin de la grande boucherie de la première guerre mondiale, même si je respecte profondément le souvenir de ceux qui en ont été les victimes, survivants ou non.

J’avais écrit ce post le 12 novembre 2005, entre les célébrations de la fête de l’armistice et la mise en perce des fûts de Beaujolais nouveau. J’ai bien aimé raconter cette petite histoire authentique et franco-allemande à cette date là. Les deux évènements étaient beaucoup plus fêtés lorsque Klaus fut notre hôte. Si j’y arrive je retranscrirais les commentaires reçus initialement.

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2 Commentaire(s):

Blogger ingrid a dit...

J'avais bien aimé la première version de cette histoire ! Près d'un an après, je suis toujours d'accord avec vous. L'Europe, pour moi, c'est aller aux Pays-Bas, et me sentir quand même un peu chez moi grâce à la monnaie commune; c'est aider un américain à compter ses euros... et c'est expliquer à tous les Klaus de passage nos rites, écouter les leurs, et rire de nos différences.

23 octobre, 2006 19:58  
Blogger jfp a dit...

Bonjour Inn-grid (!) Je n'ai presque rien changé. En fait j'essaie surtout de faire le ménage sur ce blog, car il refuse presque toutes les photos. J'aime bien ce qu'est l'Europe pour vous, un espace de liberté, d'ouverture spirituelle, et de découverte des autres. Il me semble important d'avoir l'opportunité d'apprendre ainsi que certaines vérités que nous tenons pour absolues ne sont que relatives. J'ai travaillé depuis votre année de naissance avec des germanophones, surtout, des anglophones et des hispanophones. Quand on me demandait en quoi consistait mon travail, je répondais : interface linguistique et culturelle. Amitiés. JFP

24 octobre, 2006 11:12  

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